Coloriste Céleste

L’atelier de recherche et de création Couleur en mots (Ecole des  beaux-arts de Nantes Métropole) 
est proposé par les 2 Pierre, Giquel &  Mabille d'octobre 2009 à janvier 2010 aux étudiants de
M1 et M2. L’atelier reprendra en octobre 2010.

24.11.09

Couleur des mots – couleurs en mots Cinq artistes et le langage - Marion Daniel

Comment Claude Faure, Raymond Hains, Jean Dupuy, Marcelline Delbecq et Mel Bochner traitent-ils de la question du langage ? Ils mettent sur le même plan deux systèmes de représentation : celui des mots et celui des couleurs ; défont tout ce qui a trait à une symbolique des couleurs ; vont vers une littéralité, une plasticité des mots ; créent des relations de sens qui se jouent à différents niveaux : jeux de ressemblance, jeux sur la matière des mots ; rendent les lettres illisibles ; scandent l’image par le texte ; mettent en question le texte comme langage muet et l’image comme incarnation...

Les œuvres de CLAUDE FAURE établissent toujours un rapport entre le sens, la forme et la matière des mots. C’est la question du signe qui l’intéresse : dans toutes ses œuvres il part d’un mot, d’un sigle publicitaire ou d’une carte géographique. Il dit : « Je crois qu’en faisant cela je prends une double revanche : la privation de dessin et de peinture et la privation de littérature ». Claude Faure dit aussi qu’il entretient un cousinage inversé avec Francis Ponge : lui part du mot puis le transforme en objet. Claude Faure a une jolie formule : il parle d’une « somme inachevée de procédés aboutissant à un système à tiroirs ».
Ses objets ont l’apparence d’objets usuels (l’étagère et ses livres) mais on ne peut strictement rien en faire (ils sont collés, on ne peut pas les lire). On aboutit à un ensemble visuel, à une sorte d’équation dont on ne connaîtrait pas le résultat, faite de tous ces différents objets disposés comme autant de signes colorés.


-Claude Faure, "La Couleur des Mots", 2008, sérigraphie sur Velin BFK
Rives, 70 x 70 cm, 40 ex.
© Claude Faure
Courtesy galerie Bernard Jordan

RAYMOND HAINS parlait sans s’arrêter, dans un vrai tourbillon. Avec lui, le langage est passé par toutes sortes de phases : détruit, déformé, déchiré, distendu. A la fin de sa vie, il a décidé d’être un lecteur, un artiste qui annote des livres et qui parle, en ne réalisant que peu de pièces. Le paradoxe de son travail : de cet artiste dont le discours était l’œuvre, il ne reste aujourd’hui que des objets, des œuvres plastiques.
« Jeune, je me voyais beaucoup plus écrivain qu’artiste », dit Raymond Hains. Sans doute davantage qu’aux artistes, Hains accorde aux poètes un rôle de toute première importance. Ce qui l’intéresse chez Francis Ponge, c’est l’idée de chantier, de fabrique, d’atelier. Raymond Hains considère le langage dans sa qualité physique, comme système d’emboîtements de rythmes et de sons. Bien qu’il n’écrive jamais rien, ses discours sont fondés sur la reprise, l’ellipse et la coupure, autant de figures qui rapprochent sa pratique d’une stratégie de poète.




-Raymond Hains, "Ma langue au chat", 2004. Photographie Patrick Alton.
© Raymond Hains.


JEAN DUPUY réalise des anagrammes qui font se croiser plusieurs alphabets : des couleurs dont il faut dire le nom, un alphabet morse qu’il faut déchiffrer.
A propos de Aero air 3, il écrit : « Deux textes se superposent. L’un contient une liste de mots qui représentent des couleurs. L’autre est la description d’un instrument de musique, suivie de 170 lettres. Chaque texte est écrit avec les mêmes lettres : 1 141 et par conséquent avec les mêmes couleurs. Ils forment une équation de lettres, autrement dit une anagramme. Au bas de la description est mentionné un « code codé » : il s’applique aux 170 notes. Il est en morse : le morse est un alphabet fait de traits et de points (...). »
Pour cet « anagrammiste atteint de palilalie » (la palilalie est un trouble du langage qui consiste à répéter les syllabes), les œuvres, qui partent souvent d’un jeu de mots, prennent la forme de poèmes visuels. Elles mêlent toujours plusieurs niveaux de sens, de formes.




-Jean Dupuy, "Sans titre", 1995. ©  Jean Dupuy

MARCELLINE DELBECQ dématérialise les œuvres. Elle se passe du support pour rester du côté de la voix.
D’un côté, elle écrit des récits, qu’elle fait dire par des comédiens. De l’autre, elle réalise des œuvres « plastiques », qui jouent elles aussi avec le langage.
Dans les œuvres plastiques, la lecture se fait de plus en plus difficile, jusqu’à la disparition.
Elle utilise la littérature, le cinéma, l’image, le texte comme autant de possibles.
Dans « In a voice » : Marcelline Delbecq travaille à partir d’une iconographie cinématographique, dans des fictions qu’elle choisit d’incarner uniquement par la voix.
Elle puise dans une réalité définie, comme une source iconographique et ses textes sont comme des ellipses. Ils s’éloignent de l’image, disent ce qu’elle ne contient pas.



-Marcelline Delbecq, « Silence Plateau », 2005. Néon teinté, peinture noire, 7x100 cm.
© Marcelline Delbecq, courtesy Galerie Frank Elbaz, Paris.

MEL BOCHNER s’intéresse aux limites de notre perception : nos difficultés à concilier la conception d’une chose et sa perception (voir, sentir). Il établit une corrélation entre les systèmes verbaux et les systèmes visuels. Les principes de la grammaire ou des mathématiques lui permettent des représenter des processus mentaux (Thought Made Visible, 1966-1973). Pour lui il n’y a pas de séparation entre le linguistique et le plastique ; nous nous heurtons tous à la difficulté de faire coïncider conception et perception, théorie et expérience. « J’ai tenté, dit l’artiste, d’établir une corrélation entre des systèmes verbaux et visuels» et encore – pour reprendre le titre d’une autre de ses œuvres – « Language is not transparent ». Venant de l’art conceptuel, Mel Bochner donne à son travail une dimension picturale, tout en maintenant son intérêt pour les mots.




-Mel Bochner, "Blah, Blah, Blah", huile sur toile, 2008.© Mel Bochner

Marion Daniel

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